Et si la lecture était d’abord un appel? Comme cet appel engageant de la personne qui souhaitait, petit, nous raconter une histoire, agitant devant nos yeux de môme un livre dont les illustrations éclairaient de mille feux notre univers. Nous laissions tomber notre jeu du moment, que nous avions mis tant de temps à organiser ou à désorganiser, pour nous installer, heureux, aux côtés de notre conteur improvisé, et curieux de découvrir – ou de redécouvrir – les pages colorées du Chat botté, Cendrillon, La Belle au bois dormant, Blanche-Neige et les Sept nains et autres personnages qui peupleront notre imaginaire. Au ton de voix de notre narrateur, nous anticipions la joie des bons et la déception des méchants. Le livre se refermait sur un monde nouveau, un monde imaginaire qui nous appartient toujours par la grâce de cette lecture au cours de laquelle se confondait la voix de notre liseur avec celle de l’auteur, ce magicien inconnu qui invente et écrit des histoires pour que nous puissions construire des rêves, tisser des liens et former des souvenirs.
Depuis, nous avons grandi. La lecture est devenue un acte d’apprentissage, de détente et d’oubli de soi, de résistance aux autres, au monde; un acte d’amour aussi, mais ça nous ne le savons pas toujours. Aimer les livres. Aimer lire. Ne pas aimer les livres. Ne pas aimer lire. Chaque affirmation est singulière. Le monde de ceux qui n’aiment pas les livres nous est inconnu. Aimer lire ne souffre aucune compétition, c’est avant tout un profond plaisir, quand ce n’est pas un viscéral besoin. Parfois, nous lisons tout le temps, et d’autres fois, rarement, tout dépend du moment, des saisons et du temps en notre possession. Les livres ne nous en tiennent pas rigueur. Ils nous attendent patiemment. Chercher un livre, c’est le trouver, peu importe sa forme (papier ou électronique) ou son état (neuf ou d’occasion). Nous aimons lire des livres empruntés comme nous pouvons posséder des livres sans forcément vouloir les lire là, maintenant, sur le champ. Nous pensons parfois choisir un livre quand c’est lui qui inévitablement nous choisit, ça aussi nous ne le savons pas toujours. Certains livres nous prennent alors par surprise, et c’est un étonnement, un ravissement ou un agacement, tout dépend du moment, des sentiments ou ressentiments, et du temps que nous traversons.
Allongé sur un sofa ou sur un lit. Assis sur une chaise ou parterre adossé au mur. Jambes en haut et tête en bas. Immobile ou constamment sur le départ, la lecture ne commande aucune posture, tout au plus, suggère-t-elle un point de confort. Elle n’est en aucun cas une imposture. Même quand on lit caché, recroquevillé, voire séquestré (nous ne pouvons que l’imaginer), notre esprit vagabonde dans un espace légitime de liberté. Nous ne sommes jamais seuls non plus! Avec la littérature nous aimons, détestons sans haïr (un petit peu parfois), nous apprenons, pleurons à chaudes larmes ou riions à gorge déployée. J’ai lu, j’ai vécu. Vécu des émotions nouvelles, revécu des émotions connues ou refoulées. La littérature est un monde que l’on porte en soi partout où l’on va. Nous savons grâce à elle, pour ne citer que Gustave Flaubert, qu’«un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité».
Notre admiration pour l’auteur du roman est sans bornes. Nous espérons le rencontrer pour lui dire, ou lui bredouiller, quelques mots empreints d’émotion, maladroits peut-être, sincères sûrement, et qui nous font du bien: « j’ai tant aimé votre livre. Cela a été une révélation. Il est si bien écrit. Je me suis reconnue dans le personnage, dans votre écriture…». Nous pensons connaître l’auteur parce que nous connaissons son œuvre. La rencontre a finalement lieu. Ce magicien, faiseur et défaiseur d’histoires, nous écoute attentivement et nous parle délicatement (ou bien se ferme carrément comme une huître). Nous le quittons, apaisés ou encore plus excités (ou un peu déçus), en serrant très fort son roman contre notre cœur. De retour à la maison, nous prenons la mesure de sa dédicace sur la première page blanche: «En partage d’émotions communes» (une dédicace de Camille Laurens de son livre «L’Amour, roman», P.O.L. éditeur, 2003).
C’est sans doute cela la littérature et la lecture: un partage continuel de mots et d’émotions!
J’espère que mon blogue de chroniques littéraires, Les Plumes de Telma, dans lequel je partagerai mes critiques de livres ainsi que mes plumes préférées, avec un grand faible pour la littérature francophone issue d’Afrique et du Moyen-Orient, ne fera pas exception! J’emploierai le plus souvent le « Nous » tout en engageant mon « Je/Jeu » littéraire dans l’organisation (ou la désorganisation) du blogue au gré de mes lectures du moment.
Meriem Allal