Olivier El Khoury voit du foot partout. L’objet de sa passion dans son premier roman, intitulé Surface de réparation, est le Club de foot de Bruges dont les couleurs, bleu et noir, définissent l’identité, la peau, la destinée de son héros, qui n’est autre que l’alter ego de l’écrivain belge.
Un supporter d’un club de foot est un animal dangereux, et il l’est avant tout, pour lui-même! Il rugit tel un lion victorieux lorsque son équipe favorite marque des buts ou mugit comme une bête blessée lorsqu’elle perd un match, avant de se cacher au fond de sa grotte pour ruminer tranquillement sa peine. Mais est-ce que cela vaut vraiment la « peine » de s’y attarder? Absolument, surtout quand le sort s’en mêle.
Le héros de ce roman est né au moment où le Club de Bruges disputait âprement un match de finale, que son père, fervent supporter de ce Club, avait choisi de regarder à la télé au lieu d’accompagner sa femme enceinte en salle d’accouchement. La transmission de la folie du foot de père en fils s’inscrit dans le mythe de la naissance du narrateur:
« Je suis né sans encombre, sans résistance. Dans un flegme insolent qui me collerait à la peau et me sauverait de l’emprise de ma destinée pathétique. Je n’avais pas conscience de la vie qui m’attendait ni de la crispation de mon père lorsqu’il m’a pris dans ses bras et que mon corps chaud l’a apaisé le temps d’un moment de pure félicité. Pour autant, je sentais déjà le fardeau bleu et noir qui m’accablait. J’étais mené au score et j’avais toute une vie pour renverser la vapeur.»
Olivier El Khoury dessine le portrait d’un perdant dans toute sa splendeur, dont la traversée du désert est aussi longue et lente que le visionnement au ralenti d’un tir repoussé par un des poteaux de la cage de but. C’est aussi l’histoire d’un « homme » qui raconte sa vie tout en parlant foot, usant d’un florilège de mots « fleuris » qui nous met carrément hors jeu par moment.
Les échecs répétés de Bruges contre les Mauves d’Anderlecht ou les Rouches du Standard ramènent le héros au constat de sa propre finitude « je supportais Bruges et je n’étais personne. » À l’âge adulte, il délaisse les poèmes fébriles qu’il envoyait, petit, à ses joueurs préférés, et choisit de noyer sa déception dans d’interminables beuveries entre amis, compatissants ou moqueurs, essayant de les convaincre que la victoire de Bruges demeure à portée de main.
« Mais à l’époque, je ne savais pas que j’étais malade, que j’étais cet animal dont la défaite était inscrite dans l’âme au fer chaud, à l’image de mon club qui se contentait que de trophées secondaires et occasionnels. Je me méprenais. Je me voyais comme le coq de la basse-cour, l’artiste enfoui dans sa grandeur et son arrogance, le génie dont le talent se révélerait bientôt au grand jour et aux yeux de tous, alors qu’au fond, et je devais sans doute le savoir, au moins le soupçonner, j’étais un perdant magnifique.»
L’espérance est un voyage au long cours. Il suffit d’un coup de boule pour tout perdre et il faut user de beaucoup de patience pour gagner, continuer à y croire, ne pas se décourager dans la vie comme au sport, poursuivre son chemin, surtout quand pour le narrateur, ses origines arabe viennent se greffer à son malheur, durant les attentats terroristes qui secouent l’Europe, rendant sa quête amoureuse aussi chaotique que le cheminement du Club de Bruges en championnat.
L’auteur belge manie bien l’humour pour raconter les déboires d’un jeune homme, au profil de « migrant », éconduit par les femmes, la plupart du temps des écervelées, qui ne lui laisseront, au bout du compte, comme os à ronger, que de mémorables souvenirs mammaires.
De désolation en solitude, d’anecdotes footballistiques en tirades sur la vie, Olivier El Khoury joue dans ce roman d’apprentissage avec les codes et les couleurs du foot pour permettre à son héros de refaire peau neuve et de grandir tout simplement.
« Surface de réparation », Olivier El Khoury, Roman. Les Éditions Noir sur Blanc, 2017, 160 pages.
Olivier El Khoury vit à Bruxelles. Détenteur d’un diplôme en communication, c’est dans le cadre d’une maîtrise en création littéraire qu’il a écrit ce premier roman.