Moi, figuier sous la neige: Elkahna Talbi est aussi un érable gorgé de soleil

Dans son premier recueil de poésie, Elkahna Talbi, est en perpétuel mouvement: elle part en vacances d’été, en Tunisie, pays d’origine de ses parents, et revient vivre le reste de l’année à Montréal, sa ville natale. Écartelée entre les deux rives, elle finit par établir dans ces aller-retours son chez-soi: « Carthage-en-Québec », nous invitant, d’emblée dans  son prologue, à visiter ce lieu improbable.

L’auteure montréalaise écrit sous l’influence du soleil, une brise chaude rythme sa poésie dont les mots, comme sa peau, conservent le sel de la Méditerranée en souvenir:

« Au crépuscule

une mer huilée de nuances bleues

encore inconnues

au fond de l’oeil

deux mois de vacances

grains de sel de beauté

sur peau mélasse

asséchée par l’étoile de feu »

On se laisse porter par elle dans certains lieux de Montréal comme le boulevard Saint-Laurent, en faisant un petit détour par Côte-des-Neiges, tout en passant par le Marché Jean Talon. Notre déambulation au fil des pages se poursuit inéluctablement dans les quartiers de Tunis, où l’auteure se balade dans les labyrinthes du Souk, parcourt en taxi l’avenue Bourguiba, bien assise sur les genoux de sa tante enveloppée d’un sfesfri (voile blanc couvrant tout le corps de la femme).

De prose en prose, Elkahna Talbi fait danser les références culturelles de ses deux pays, sans jamais les mettre en opposition, sur une musique orientale et dans une langue française à l’accent bien québécois. Car il s’agit bien, pour l’auteure, tout au long de ce petit recueil, de préserver les différences qui la constituent. Comme le « H » muet de son prénom dont elle devance la prononciation pour éviter qu’il ne soit massacré, assurant ainsi son « élémentaire survivance ». Ne pas se perdre à chaque fois que l’on se fait demander « d’où viens-tu? », dont la réponse suffit à nous faire prendre conscience que, dans ce pays où notre corps prend la pose, notre chez-soi sera toujours un ailleurs!

« Jusqu’au retour

je tente de maintenir l’essence

du bouquet de jasmin

malgré mes efforts

la traversée altère la couleur florale

Comme moi

le jasmin n’est blanc

qu’en Tunisie

ailleurs

il est basané »

Avec ses tantes et ses cousins en Tunisie, l’auteure partage l’euphorie des retrouvailles à chaque fois renouvelée et le secret des douces siestes dans la pénombre du salon de la maison de ses grands-parents. Sa valise ne contient pas uniquement des cadeaux à offrir, elle porte tout son monde à la conquête de tout un pays, revenant à Montréal, remplie de toute son histoire.

Dans le milieu artistique, Elkahna Talbi est plus connue sous le nom de Queen Ka, comédienne qui fait aussi du Slam sur ses textes personnels. La poésie n’est donc pas un territoire qui lui est inconnu, au contraire! Et l’on se rend bien compte que sur cette terre, tout est possible, le figuier résistera à la neige et l’érable ne sera jamais brûlé par le soleil.

« Dans le jardin paternel

un figuier se penche

prêt à hiberner

les précautions sont grandes

il ne gèlera pas

l’été

la figue miraculée

se laisse cueillir

l’espace-temps se contorsionne

le désir fait pousser

ici ce qui vient de là-bas

ce figuier

est mon frère »

Photo prise lors de la soirée de lancement du recueil, organisée le 2 février 2018, au Kahwa Café à Montréal.

« Moi, figuier sous la neige », Elkahna Talbi. Poésie. Éditions Mémoire d’Encrier, 2018, 82 pages.

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Elkahna Talbi est née à Montréal de parents tunisiens.  Diplômée en beaux arts de l’université de Concordia à Montréal, elle débute sa carrière dans l’art du slam en 2005. « Moi, figuier sous la neige » est son premier recueil de poésie.

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