Marx et la Poupée: Maryam Madjidi au Royaume de l’Exil

Marx et la poupée est un conte lumineux sur la survie d’une identité étrangère en terre d’exil.

Maryam Madjidi confectionne une « guirlande » suspendue à un arbre, faite de souvenirs d’enfance, de rêves perdus, de fantômes errants, de lettres de l’alphabet enfouies puis retrouvées, redonnant vie à une langue, le persan. Ce livre pourrait être l’histoire d’une langue maternelle qui ne voulait point mourir, racontée dans une langue française poétique. Deux langues illustrées en personnages à part entière dans ce roman couronné du Prix Goncourt du Premier Roman 2017.

En conteuse née, préparée déjà dans le ventre de sa mère à témoigner de son époque, l’écrivaine absorbe comme une éponge des histoires, réelles ou imaginaires, entendues ou vécues en Iran, pour les raconter par la suite aux gens curieux de ses origines, qu’elle croise en France ou ailleurs, aux amis qui mettent la main sans le vouloir sur sa blessure, aux amants qu’elle séduit par l’effet de savoureux poèmes persans;  mais aussi pour dire ces choses qu’elle a besoin de dire au monde qui l’entoure, qu’elle observe, mais la maintient à distance, la faisant plonger dans une profonde solitude. Les histoires orientales se faufilent dans ce récit autobiographique à coup de « il était une fois », à travers lesquelles, Maryam Madjidi retrace les sillons de sa vie ponctuée par ses trois naissances: sa venue au monde en Iran, son départ forcé en France et son retour dans son pays d’origine après dix-sept ans d’exil.

Au détour d’une virgule, l’auteure passe de la première à la troisième personne, donnant une voix aux membres de sa famille, relatant des anecdotes sur ses parents militants communistes au temps de la révolution islamique; convoquant la présence protectrice de sa grand-mère maternelle, restée en Iran, dans des visions et des hallucinations, pour calmer ses angoisses d’exilée romanesque, quand petite fille muette, elle peine à être une écolière française modèle, ou que jeune adulte, elle se lasse de jouer la franco-iranienne exotique. 

Dans une écriture simple et dotée d’une subtile ironie, l’écrivaine capte les fantômes du passé qui hantent les nuits de son père et ramasse les rêves de sa mère tombés en morceaux sur le sol de leur petite chambre de bonne au 6e étage d’un immeuble du 18e arrondissement de Paris.

« Je déterre les morts en écrivant. C’est donc ça mon écriture? Le travail d’un fossoyeur à l’envers. Moi aussi j’ai parfois la nausée, ça me prend à la gorge et au ventre. Je me promène sur une plaine vaste et silencieuse qui ressemble au cimetière des maudits et je déterre des souvenirs, des anecdotes, des histoires douloureuses et poignantes Ça pue parfois. L’odeur de la mort et du passé est tenace. Je me retrouve avec tous ces morts qui me fixent du regard et qui m’implorent de les raconter. »

Son premier arrachement commence lorsqu’elle est dépossédée de ses jouets et de sa poupée préférée, forcée de les laisser, avant son départ, aux enfants pauvres de son quartier à Téhéran. La petite fille ne comprend pas son déracinement en France dont elle ne parle pas la langue. Elle n’aime pas manger à la cantine de l’école, déteste le fromage et boude les croissants. Et lorsque les premiers mots en français sortent de sa bouche, elle s’obstinera à ne pas apprendre à lire et à écrire le persan, s’essayant dans sa lancée à ne plus le parler, au grand désarroi de son père.

Mais Maryam Madjidi porte en elle, tapie au creux de son ventre, cette « langue perdue dans un pays étranger ». L’écrivaine franco-iranienne imagine une lutte des langues dans la tête de la petite fille têtue qu’elle était. La langue de l’intégration contre celle de la réconciliation. Elle délie sa mémoire d’enfant pour labourer une terre d’exil de laquelle elle déterre l’alphabet de sa langue maternelle, savourant enfin les mots à travers la poésie persane.

Si un conte est toujours porteur d’une morale, chacun pourra la déduire des éléments du livre qu’il retiendra, il est certain cependant qu’au Royaume de l’Exil rien n’est jamais définitif!

« Marx et la Poupée », Maryam Madjidi, Roman. Éditions Le Nouvel Attila, 2017, 203 pages (Prix Goncourt du Premier Roman 2017).

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Maryam Madjidi est née en 1980 à Téhéran en Iran, et a immigré en France en 1986 avec ses parents. Titulaire d’une maîtrise en littérature comparée de l’université de la Sorbonne à Paris, elle enseigne le français pour le compte de la Croix Rouge Française aux mineurs étrangers.

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